Dans un contexte d’importants changements climatiques, notre système de planification urbaine essentiellement basé sur le SDAU et le PA peut s’avérer, à terme, inopérant. Dès lors, penser les territoires avec le climat s’impose pour une meilleure prise en compte des enjeux de la transition énergétique. Heureusement, notre savoir-faire architectural est un réservoir inépuisable d’idées et des cas de bonnes pratiques émergent au Maroc. C’est ce que nous explique le professeur Majid Mansour, co-auteur de l’ouvrage « Architecture et efficacité énergétique, 10 cas de bonnes pratiques au Maroc », publié en novembre 2016.
Les villes sont des milieux artificialisés, à forte inertie thermique, liés aux matériaux utilisés (asphalte, béton, etc.). Ces matériaux absorbent et restituent la chaleur, moyennant un temps de déphasage qui leur est propre, que l’on appelle communément « ilots de chaleur urbains ». Les écarts de température peuvent être significatifs entre la ville dense et sa périphérie, composée essentiellement d’espaces ouverts et productifs (8° à 10 °C).
Dans le contexte marocain, notre système de planification urbaine est incomplet, puisqu’on planifie les territoires sur la base de deux documents essentiels : le SDAU et le PA, et pour la mise en œuvre on recourt au lotissement, alors qu’aujourd’hui l’éco-quartier émerge comme un projet porté par les collectivités locales dans un contexte de décentralisation et de démocratie locale participative. Celui-ci se définit comme le développement d’un quartier durable englobant des considérations liées à la mobilité, à la densité, aux formes urbaines, à l’éco-construction, aux cycles efficients de la matière et de l’énergie mais également à une mixité sociale et fonctionnelle, à la résilience économique et à la participation de la société civile.
Ainsi, dans un contexte de changement climatique, il faut penser les territoires avec le climat par l’introduction des plans climats territoriaux dans la planification. Ces plans climats ont pour objectifs d’intervenir sur les sources d’émissions de carbone et autres gaz à effet de serre pour les réduire, en ce qui à trait à la configuration des rues, l’emprise de la voirie, l’espace public, le choix des matériaux ou encore la conception du projet urbain. Il faut donc réinventer les principes de l’architecture bioclimatique. En effet, nos villes ont longtemps su se prémunir contre la chaleur et le froid, et plus globalement, être pensées avec le climat. Il semble que la ville moderne ait perdu ces réflexes bioclimatiques, à tel point qu’on assiste à un vrai divorce entre la sphère urbaine et la sphère rurale, et il a fallu qu’apparaissent l’émergence du réchauffement climatique et de nouveaux risques écologiques pour remettre en cause notre modèle d’urbanisation des territoires.
Urbanisation des territoires et efficacité énergétique :
cas de bonnes pratiques au Maroc
Au Maroc, le secteur du bâtiment représente 25% de la consommation énergétique totale du pays. En outre, la consommation énergétique de ce secteur connaît une forte croissance en relation avec l’urbanisation des territoires. Des chantiers sont ainsi ouverts dans toutes les régions du pays pour répondre aux besoins d’une démographie galopante et une forte progression du taux d’urbanisation qui a atteint 60,3% (RGPH, 2014). Ainsi, le secteur du bâtiment représente un potentiel important en termes d’économies d’énergie, de transition énergétique des territoires et par conséquent de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Maroc par sa diversité climatique représente une longue expérience d’adaptation de son cadre bâti aux différents milieux naturels. Les architectures vernaculaires comme les ksour, les kasbahs et les maisons traditionnelles type médina, ont toujours répondu à certains enjeux de durabilité.
Récemment, le Maroc a adopté une règlementation thermique qui a pour objectif d’inscrire progressivement les territoires dansla transition énergétique. Cette réglementation, adopte la carte du zonage climatique comprenant six zones climatiques circonscrites en respectant les limites administratives pour une meilleure application.
En parallèle, et dans le cadre du projet « Deutsche Klima und Technologie Initiative de la GIZ, Coopération Allemande », qui apporte son soutien aux institutions œuvrant dans le secteur énergétique à travers son programme DKTI, nous avons étudié plusieurs initiatives publiques et privées mettant en exergue, à travers des projets novateurs, les bonnes pratiques en matière d’intégration de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables dans le bâtiment et l’aménagement urbain.
Les cas pilotes étudiés ont montré que le secteur du bâtiment est une activité où le potentiel d’économies d’énergie est primordial. La pertinence des systèmes passifs sur le confort thermique n’est plus à démontrer : implantation, architecture du bâtiment, démarche bioclimatique (orientation optimale, ouvertures, entrées solaires et éclairage naturel, choix pertinent des matériaux, isolation performante, recours aux énergies renouvelables, etc.). L’eau et la végétation ne répondent pas à des logiques nouvelles, ils ont toujours été une façon d’atténuer la chaleur.
Riche en enseignements, cette étude relève quelques retours d’expériences. Certains procédés ne semblent pas adaptés à certaines zones climatiques, du fait des effets antagonistes été / hiver, ou diurne / nocturne. La conception bioclimatique d’un bâtiment consiste à construire avec le climat. Elle repose sur une connaissance approfondie du contexte climatique, du milieunaturel du site et du facteur humain et ses usages.
Quant au surcoût inhérent à l’intégration de l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, souvent un frein au développement de bonnes pratiques, l’expérience montre qu’il n’en est rien. En effet, des programmes immobiliers à caractères sociaux ont démontré par la rigueur de leur démarche que ce surcoût pouvait être contenu à 7% du coût global.
En termes de retour d’expériences, certains projets, et compte tenu de leur caractère précurseur et innovant, ont dû surmonter plusieurs difficultés liées notamment au manque de savoir faire technique des entreprises, à la faible sensibilisation du consommateur et à un marché non organisé qui doit s’adapter à de nouveaux produits. Ces projets étaient portés par des hommes et des femmes qui ont su à chaque fois adapter les solutions à des besoins spécifiques. La coordination entre plusieurs acteurs est une condition sine qua non de la progression des travaux. Et là encore, il a fallu créer de l’harmonie entre les différents intervenants. Cette expérience, soutenue par la GIZ (coopération allemande au Maroc), nous a encouragés à renouveler ce travail par l’édition d’une deuxième publication (prévue début 2018), avec dix nouveaux cas de bonnes pratiques en termes d’efficacité énergétique et de durabilité dans le bâtiment.