Hier Samedi, j’ai assisté sur invitation de la Revue « Architecture du Maroc » et de l’institut Français de Casablanca à une rencontre-débat sur l’espace public. J’y participais en tant que représentant du Conseil National de l’Ordre des Architectes du Maroc. Ces rencontres que l’institut Français et la Revue AM organisent régulièrement sont toujours des moments intéressants d’échanges et de partage avec la profession et avec le public de manière générale. À cet effet, la rencontre d’hier était de haut niveau et a vu la participation de confrères qui ont présenté leurs expériences professionnelles en tant qu’architectes ou en tant qu’élus politiques au Conseil de la Ville.
Je livre ici mon point de vue personnel après cette rencontre et qui n’engage que moi, sur cette thématique de la gestion de l’espace public:
L’espace public utilisé par tous les citoyens au quotidien est ce qui les réunit, les fait rencontrer, leur permet de se retrouver. C’est aussi un espace partagé, qui toutefois, subit les vicissitudes d’une urbanité moderne exigeante, pléthorique, mangeuse des espaces les plus résiduels, et laissant que peu de place de s’épanouir pleinement en dehors de leurs logements…
Au Maroc, les pouvoirs publics ont pris conscience depuis une vingtaine d’années de la nécessité de porter une attention accrue à l’espace public.
Les politiques publiques de mise à niveau urbaines ont certes permis de changer le visage des principales villes du Royaume. Cela avait commencé avec les villes du nord, Tanger et Tetouan. Après ce fut le tour de Marrakech, d’Agadir, de Rabat, d’Oujda et d’autres villes par la suite.
Les budgets alloués, longtemps faméliques, devinrent importants, permettant un grand grand lifting urbain de ces villes en matière de voiries, d’espaces verts, des accès, de transport de masse, d’assainissement…
Ces nouveaux budgets permirent aussi la construction d’équipements de proximité, notamment dans le cadre de l’INDH, l’aménagement d’aires récréatives et de terrains de sports de proximité. Doucement mais sûrement, les villes commencent à devenir accueillantes, offrant de plus en plus de services, inexistants auparavant…
Mais ces politiques volontaristes se heurtent aussi à une gestion au quotidien, lourde et fastidieuse de cet espace public, et c’est là que les collectivités territoriales sont interpelées.
La part des budgets municipaux alloués à la gestion de l’espace public et plus généralement à l’investissement, demeurent encore assez anecdotiques, car ces budgets sont pour leur majorité consacrés au fonctionnement des mairies et au paiement des salaires…
Le modèle de développement urbain actuel connaît ainsi ses limites, puisqu’il ne permet toujours pas à ces collectivités, hors volonté du pouvoir central, de mener à bien des stratégies prospectives à long terme, faute de moyens suffisants.
Pendant très longtemps, la ville marocaine moderne se contentait de se développer par addition de lotissements successifs, visant principalement le logement de masse, afin de rattraper les déficits qui s’accumulaient d’années en années à cause d’une démographie urbaine galopante et qui semble irrattrapable.
Le bétonnage a cru des villes par les programmes de logements sociaux, l’absence de grands espaces récréatifs, de grands parcs, d’équipements structurants ajoutent leur part de doute quant à l’efficience du modèle de développement urbain actuel.
Ce modèle d’extension n’a jamais pris en compte, de manière concrète et raisonnée les besoins réels des villes, se contentant de chercher à appliquer les dispositions des plans d’aménagements, choisis par l’état comme outils d’encadrement de l’espace urbain. Par faiblesse des budgets alloués aux arrêtés d’alignement, aux expropriations pour cause d’utilité publique, par absence de syndicats de propriétaires urbains, par inexistence d’un réel urbanisme de concertation fait en association avec les habitants, ce modèle de gestion urbaine devient aujourd’hui caduc, par quasi impossibilité de mise en œuvre.
Pourtant, des modèles de gestion ont été mis en place comme l’unicité des villes et l’instauration des arrondissements, dans le but d’unifier les actions des mairies et de rationaliser ainsi les dépenses inhérentes au développement urbain. Une belle idée que cette unicité de la ville, qui a fait ses preuves sous d’autres cieux, mais qui, une fois appliquée sous nos cieux, n’est pas arrivée à atteindre les buts escomptés.
La démocratie locale étant ce qu’elle est, n’étant ni restrictive ni limitative, il en découle de facto l’arrivée aux destinées des villes d’élites faiblement formées et incapables de produire des stratégies de développement ambitieuses ou prospectives. Face à cette situation, les personnes ayant l’expérience suffisante ou étant intellectuellement intéressantes, s’éloignent de la gestion municipale, qui devient le repaire de décideurs sous-formés, et donc incapables de gérer au mieux les villes. Et celle-ci, reste malheureusement, pour un bout de temps encore, le champs de luttes politiciennes éculées qui stérilisent souvent toute possibilité d’un développement harmonieux.
Alors les citoyens se posent des questions sur cette situation, car ils ont l’impression, souvent justifiée, qu’on ne fait rien pour rendre leurs villes agréables à vivre, sécurisées, verdoyantes, ne retenant que les débats houleux qui animent parfois les conseils municipaux.
Pourtant, beaucoup d’efforts ont été entrepris ces dernières années, mais les citoyens estiment toujours que c’est insuffisant, gardant en tête, les interminables embouteillages aux heures de pointe non résolus malgré les multiples rocades, carrefours, tunnels, élargissements de voies construits. Ils gardent aussi en tête le faible aménagement de grands parcs urbains nouveaux, les parcs existants sont souvent ceux hérités de l’époque du protectorat. Il ont en tête cette difficulté toujours existante de pouvoir prendre les transports en commun en toute quiétude et sécurité, tant ceux-ci ne sont pas au niveau ou souvent dégradés. Bus, petits et grands taxis semblent sortir d’un autre âge, sales, dégradés et pas entretenus régulièrement.
Les nouveaux moyens de transports comme le Tramway, ou les nouveaux taxis tardent, quant à eux, à remplir leur mission de façon satisfaisante ou à être généralisés de manière visible.
Le partage même de l’espace public, utilisé par une importante population piétonne, dont beaucoup de femmes, pose des problèmes, au vu des dégradations qui viennent saccager ce que la collectivité a mis tant de temps à réaliser; ou devenant le théâtre de harcèlement dont les femmes souffrent beaucoup dans leur quotidien.
Alors quel avenir pour cet espace public, qui est le forum de toute urbanité qui se respecte ?
La solution réside, à mon sens, dans la nécessité impérieuse d’associer les habitant des quartiers limitrophes à cet espace public partagé. C’est vers eux que les pouvoirs municipaux devraient s’adresser dans le futur, non plus uniquement pour quémander des voix, mais surtout pour leur proposer des solutions concrètes d’amélioration de l’espace public, et aussi d’écouter leurs suggestions et propositions.
Il faut se résoudre à restituer la parole à ceux qui sont les premiers concernés par le fait urbain, à savoir les citoyens des villes. Quitte à instaurer des comités de quartiers, à instaurer des votes ou des référendums locaux, qui permettront aux citoyens ds villes de se prononcer sur les projets que les élus comptent réaliser sur cet espace public.
Les citoyens des villes n’ont pas forcément besoin qu’on renouvelle le trottoir et l’éclairage public devant chez eux tous les cinq ans, mais ils désirent sans doute savoir quel nouvel équipement culturel ou sportif va être bâti dans leur quartier, afin de permettre à leur enfants de s’occuper autrement qu’à ne rien faire de leur temps libre…
Je pense que nous devons passer à un nouveau modèle de développement urbain de type Ville 2.0, qui prenne en compte les nouveaux défis, en matière d’urbanisme, de démographie urbaine, de gestion municipale, de besoins réels des citoyens.
Même si la politique de régionalisation est importante, il n’en demeure pas moins que les villes continueront à s’accaparer la grosse part du développement du pays, car c’est dans les villes que les richesses et les emplois se créent de manière importante, et c’est l’espace public, quelle que soit sa qualité qui sera toujours le reflet de ce développement…